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jeudi 13 décembre 2018

Caulaincourt, un diplomate malgré lui

Diplômé de l'École nationale des chartes, agrégé et docteur en histoire, Olivier Varlan est professeur d'histoire et de géographie dans le secondaire. Il vient de consacrer une biographie à Caulaincourt, à qui il a consacré plusieurs travaux universitaires. Article inédit. 
Malgré sa proximité avec Napoléon, Caulaincourt a été peu étudié par les historiens. En effet, il a fallu attendre le début du XXIe siècle pour que les historiens s'intéressent à ce personnage car dans les années 1930, Jean Hanoteau, en publiant les mémoires de Caulaincourt, les a introduit par une notice biographique qui dissuada les historiens de lui consacrer une biographie. 
Olivier Varlan divise son ouvrage en trois parties : le "favori" de Napoléon (1773-1807) ; deux séjours en Russie (1807-1812) ; le négociateur de la fin de l'Empire (1813-1815). Caulaincourt est né en 1773 dans une famille de la noblesse picarde. Jusqu'en 1796, Caulaincourt fait un apprentissage militaire mouvementé auprès de son père puis d'un ami de sa famille, Aubert-Dubayet. De 1796 à 1802, grâce notamment à Aubert-Dubayet, il participe à sa première expérience diplomatique à Constantinople, ce qui l'amène à hésiter entre continuer sa carrière militaire ou épouser la carrière diplomatique. Jusqu'en 1804, il commence une carrière curiale en devenant aide de camp de Bonaparte. Olivier Varlan souligne que Caulaincourt n'a pas participé directement à l'affaire d'Enghien. À la proclamation de l'Empire, Napoléon le nomme Grand Écuyer de l'Empire, fonction très importante qui lui donne de  nombreuses et lourdes responsabilités. Il occupe ce poste jusqu'en 1815. De 1804 à 1807, Napoléon confie des missions diplomatiques à Caulaincourt : il est chargé de discussions officieuses avec l'envoyé russe puis mène ses premières négociations diplomatiques avec l'Empire ottoman.
Suite à l'alliance de Tilsit, Caulaincourt devient ambassadeur de France en Russie, bien qu'il ne voulait pas de ce poste. Ce séjour en Russie lui permet d'obtenir l'amitié du tsar Alexandre et il devient le plus fidèle soutien à l'alliance franco-russe. Malgré ses efforts, cette alliance a été un échec parce que les deux empereurs avaient des ambitions contradictoires. À son retour de Russie, il subit les foudres de Napoléon qui le disgracie. Il ne peut empêcher la campagne de Russie préparée par Napoléon bien qu'il a tenté de l'avertir des dangers de cette entreprise. 
L'échec de cette campagne permet un retour en grâce de Caulaincourt puisqu'il est nommé malgré lui ministre des Relations extérieures en 1813. En effet, aux yeux de l'opinion, il est considéré comme "l'homme de la paix". Ainsi, il tente de négocier avec les Coalisés lors des congrès de Prague (1813) et de Châtillon (1814). Puis il négocie l'abdication de Napoléon, obtenant l'île d'Elbe grâce à son amitié avec le tsar. Lors des Cent-Jours, il reprend du service comme Grand-Écuyer et comme ministre des Relations extérieures. Ce dernier acte politique provoque la fin de son amitié avec le tsar. La fin de ses charges auprès de Napoléon lui permet de se consacrer à sa vie familiale car Napoléon l'avait empêché de se marier. Caulaincourt meurt des suites d'un cancer de l'estomac en 1827.
Pour cet ouvrage, Olivier Varlan s'appuie sur une imposante documentation et une historiographie récente. L'auteur offre un ouvrage de qualité sur l'histoire diplomatique de la période napoléonienne. 

Olivier Varlan, Caulaincourt. Diplomate de Napoléon, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2018, 499 p. 25 euros. 

Le système de la famille Bonaparte

Ancien élève de l'École nationale des chartes, archiviste-paléographe, docteur en histoire et conservateur des bibliothèques de Versailles, Vincent Haegele publie chez Perrin Napoléon & et les siens. Un système de famille. Article inédit. 
Avant de s'intéresser au système de la famille Bonaparte, Vincent Haegele a édité la correspondance entre Napoléon et Joseph et a publié une biographie croisée des deux frères et une autre de Murat. Vincent Haegele divise son ouvrage en trois parties s'inspirant de la botanique : racines et bourgeons; greffes et boutures; floraisons et rejets. Le système familial des Bonaparte débute grâce à la courtisanerie et aux investissements de Charles Bonaparte. Lorsque celui-ci disparaît, l'oncle Luciano et le frère de Letizia, l'abbé Joseph Fesch, veillent sur le clan familial. Les soubresauts révolutionnaires amènent les Bonaparte à fuir la Corse et ils profitent du renouvellement des élites provoqué par la Révolution. La guerre permet à Napoléon d'accumuler les succès qui lui donne la possibilité de favoriser les membres de sa famille : Lucien reçoit une commission d'ordonnateur lorsque la Corse est reconquise et Joseph devient ambassadeur. Ce sont eux qui vont jouer un rôle décisif dans l'accession au pouvoir de Napoléon. Une fois au pouvoir, Napoléon associe sa famille aux plus hautes fonctions de l'État : Lucien devient ministre de l'Intérieur, Joseph continue sa carrière diplomatique et les beaux-frères Murat et Leclerc obtiennent d'importants commandements (l'Italie pour Murat ; Saint-Domingue pour Leclerc). Durant le Consulat, Napoléon tente de conquérir une paix durable et établit les membres de sa famille. Une fois à la tête d'un empire dominant l'Europe, il place ses frères et soeurs sur plusieurs trônes européens (Joseph à Naples puis en Espagne, Louis en Hollande, Jérôme en Westphalie, Murat à Naples, etc). Le pouvoir éloigne Napoléon de ses frères qui regrettent le temps où ils pouvaient s'entretenir facilement avec lui. Ils s'opposent de plus en plus à lui, entraînant les trahisons et les reniements qui aboutissent à la chute de Napoléon et du système familial. 
Pour son ouvrage, Vincent Haegele s'est appuyé sur une abondante documentation et une historiographie récente. 

Vincent Haegele, Napoléon & les siens. Un système de famille, Paris, Perrin, 2018, 431 p. 24.90 euros. 

Cambacérès, plus qu'un numéro deux

Pierre-François  Pinaud (1951-2012), docteur en histoire et spécialiste de l'histoire des finances publiques, s'est passionné pour la période napoléonienne. Sa biographie de Cambacérès revient aujourd'hui dans la collection "Tempus". Article paru dans la Revue du Souvenir Napoléon n°517, octobre-décembre 2018, p. 60.

Bien qu'il fut le "vice-empereur" de Napoléon, Cambacérès a intéressé peu d'historiens. Seule, en 2009, Laurence Chatel de Brancion lui avait auparavant une biographie. Cambacérès est né en 1753 à Montpellier dans une famille de la noblesse locale. En 1789, alors reconnu pour ses talents de juriste, il commence à sa carrière politique exceptionnelle. Il est l'un des hommes clés de la Convention où il joue quasi-constamment un rôle décisif dans le comité de Législation, en présentant plusieurs projets de Code civil. Après Thermidor, il préside la Convention puis le Comité de Salut public. Sous le Directoire, il voit sa candidature au poste de directeur refusée par le conseil des Cinq-Cents puis devient ministre de la Justice. Il est l'un des artisans du coup d'État de Brumaire et l'un des fondateurs du régime consulaire. Bonaparte lui offre une nouvelle carrière puisqu'il devient Second Consul et restera son homme de confiance. Il est l'un des principaux rédacteurs du Code civil. Lorsque l'Empire est proclamé, il devient archichancelier et joue donc ce rôle de vice-empereur auprès de Napoléon qui lui délègue le pouvoir lorsqu'il quitte Paris.
Mais l'affaire Malet en 1812 et la vieillesse de Cambacérès amènent Napoléon à moins confier de responsabilités à son bras droit. À la suite de la chute de l'Empire, l'ancien archichancelier part en exil tout en veillant à sa fortune. En 1818, il rentre à Paris pour vivre une retraite paisible et s'éteint en 1824. 
Même si l'on peut regretter l'absence de notes en bas de pages ou en fin d'ouvrage, Pierre-François Pinaud s'est appuyé pour son ouvrage sur une abondante documentation. 

Pierre-François Pinaud, Cambacérès, Paris, Perrin, coll. "Tempus", 2018 (1ère édition : 1996), 409 p., 10 euros. 

mercredi 29 août 2018

Nouvelle histoire du Second Empire

Biographe de Lamartine, Briand et Defferre, Gérard Unger nous conte l'histoire du Second Empire. Son but est de montrer la France de l'époque, "dans sa routine et ses archaïsmes persistants, mais aussi ses changements porteurs d'avenir." Article paru dans la Revue du Souvenir Napoléonien n°515, avril-juin 2018, p. 59. 


L'auteur rappelle que le régime a transformé la France et souligne que la Troisième République a poursuivi certaines politiques impériales (éducation, politique coloniale). Il divise son ouvrage en quatre parties. Pour devenir César, Louis-Napoléon Bonaparte, président de la République depuis 1848, doit réviser la Constitution pour se maintenir au pouvoir mais, échouant dans cette tentative, décide de faire un coup d'État. Son parcours, de sa naissance au coup d'État, est rappelé. Étant César, entre 1852 et 1860, Napoléon III met en place un régime autoritaire et conduit une politique étrangère brillante. La troisième partie du livre est consacrée à la description de la France du Second Empire. C'est une économie à deux vitesses avec ses innovations et ses archaïsmes, une société diverse et inégalitaire. Le Second Empire est une période faste pour la vie intellectuelle. La dernière partie de l'ouvrage, intitulée "le Capitole et la roche tarpéienne (1860-1870)" s'intéresse à la deuxième décennie du règne où Napoléon III libéralise progressivement son régime. Sur le plan international, malgré quelques réussites, cette fin de règne est marquée par des désillusions et surtout par l'échec final face à la Prusse qui emporte le régime (l'historien fait aussi plusieurs clins-d’œil à Lamartine à qui il avait consacré une biographie en 1998). 
Un cahier central réunit autour de Napoléon III, épouse et fils, proches (Persigny, Plon-Plon, Morny, Rouher), opposants (Thiers, Gambetta, Ferry), courtisanes (la Castiglione et la Païva), acteurs internationaux (Bismarck, Alexandre II, Victor-Emmanuel II, Victoria), mouvements artistiques (Courbet, Manet, Beaudelaire et Daumier), vie économique et sociale (le Creusot, la paysannerie, les travaux d'Haussmann) et batailles (Malakoff, Solférino et Sedan). Il aurait été intéressant d'utiliser les travaux de Juliette Glikman et Francis Choisel et les récentes biographies de Persigny et Bismarck. On regrettera également qu'il n'y ait qu'une carte consacrée aux opérations en Crimée, et pas aux autres thématiques. 

Gérard Unger, Histoire du Second Empire, Paris, Perrin, 2018, 480 p., 24 euros 90. 

mardi 28 août 2018

Clausewitz, l'inconnu illustre


Bruno Colson nous conte pas à pas la vie de Carl von Clausewitz, personnage principalement connu pour avoir écrit De la Guerre (Vom Kriege). Il s'intéresse au personnage dans sa globalité, et pas seulement au théoricien de la guerre qu'il fut. Article paru dans la Revue du Souvenir Napoléonien n°515, avril-juin 2018, p. 55. 

Né en 1780 à Burg (actuelle Saxe-Anhalt), Clausewitz entre à douze ans dans l'armée prussienne, ce qui l'amène, bien qu'il ne puisse pas encore combattre, à être témoin du siège de Mayence, occupée à cette époque par 23 000 Français. Pendant sa garnison à Neuruppin, il augmente ses connaissances par des lectures. En 1801, il entre à l'Institut pour les jeunes officiers où il fait la rencontre de Gerhard von Scharnhorst, qui va devenir son mentor. C'est à partir de 1802 qu'il se lance dans l'écriture en parallèle à ses activités d'officier prussien. L'année suivante, son affectation comme aide de camp du prince Auguste de Prusse lui permet de commencer à côtoyer la cour. Il est témoin de la victoire du maréchal Davout à Auestaedt en 1806 où il a une conduite courageuse. La catastrophe de 1806 le traumatise. Ami de Scharnhorst et Gneisenau, il participe à leur réforme de l'armée des années 1808-1811. En 1812, alors que Napoléon se prépare à envahir la Russie et qu'il force la Prusse à s'allier avec lui, Clausewitz propose de servir l'armée du tsar. Une décision qui lui vaut une disgrâce de quelques années de la part du roi de Prusse Frédéric-Guillaume III. À la fin de la campagne, il participe aux négociations avant Tauroggen, prélude au changement de camp de la Prusse. En 1815, il est le chef d'état-major d'un des quatre corps d'armée prussien et ses décisions prises à Ligny et Waterloo ont une portée considérable. Il devient ensuite directeur de l'École de guerre de Berlin après avoir été nommé général, ce qui lui permet de se consacrer à l'écriture. En 1831, les Prussiens, craignant une propagation du soulèvement polonais, mobilisent des troupes sous le commandement de Gneisenau qui fait appel à Clausewitz pour être son chef d'état-major. Mais le choléra emporte les deux brillants officiers prussiens. L'oeuvre de Clausewitz est publiée à titre posthume par son épouse Marie. C'est à partir de 1870 que Vom Kriege rencontre un grand succès (traduit dans de nombreuses langues), jamais démenti. Bruno Colson a passé plusieurs années à dépouiller les archives pour nous faire connaître toutes les facettes de ce personnage intéressant. 

Bruno Colson, Clausewitz, Paris, Perrin, 2016, 517 p., 27 euros. 






samedi 21 octobre 2017

Marie-Louise réhabilitée

Les impératrices sont à l'honneur. Après Pierre Branda pour Joséphine, Charles-Éloi Vial, archiviste paléographe et docteur en histoire, actuellement conservateur des manuscrits à la BNF, consacre une excellente biographie à la seconde épouse de Napoléon. Article paru dans la Revue du Souvenir Napoléonien n°512, juillet-septembre 2017, p. 54. 

Dans l'historiographie napoléonienne, Marie-Louise est considérée comme une traîtresse, celle qui a abandonné Napoléon en ne le rejoignant pas à l'île d'Elbe. La légende noire l'a dépeinte comme une femme égoïste, futile, infidèle et nymphomane. A contrario, le but de Charles-Éloi Vial est de réhabiliter la personnalité de Marie-Louise. Née en 1791, elle était la fille aînée de l'empereur François Ier d'Autriche. Ayant grandi dans la haine des Français qui avaient exécuté sa tante Marie-Antoinette, elle dut épouser celui qui avait vaincu sa patrie à plusieurs reprises. Bien que son mariage fût politique, Marie-Louise aima véritablement Napoléon, qui le lui rendit également. Elle donna à l'empereur son héritier tant attendu mais ses fonctions d'impératrice lui pesèrent énormément. À la chute de Napoléon, elle voulut le rejoindre mais fut contrainte de l'abandonner pour privilégier son avenir et celui de leur fils. Son amour passionnel envers un officier autrichien, le général Neipperg, lui fit oublier Napoléon d'autant plus que la cour d'Autriche s'amusait à la monter contre lui. Le congrès de Vienne lui attribua le duché de Parme où elle fut une bonne souveraine et joua un rôle majeur sur l'échiquier diplomatique européen pendant trois décennies. Pièce maîtresse de l'ordre metternichien en Italie, fortement chagrinée par les malheurs de son existence - parmi lesquels la mort du duc de Reichstadt en 1832 -, elle s'éteignit en 1847.
Charles-Éloi Vial s'était déjà intéressé à Marie-Louise en éditant en 2015 aux éditions Vendémiaires L'Adieu à l'Empereur. Journal de Marie-Louise. Il s'appuie ici sur une documentation abondante, souvent inédite. Son étude devient désormais la référence sur la seconde impératrice. 

Charles-Éloi Vial, Marie-Louise, Paris, Perrin, 2017, 448 p., 24 euros. 

dimanche 30 juillet 2017

Les guerres de Vendée revisitées


L'historien Jean-Joël Brégeon et l'écrivain Gérard Guicheteau s'associent pour cette Nouvelle histoire des guerres de Vendée. Les deux auteurs n'hésitent d'ailleurs pas à faire appel aux anecdotes pour nourrir leur récit. Article paru dans la Revue du Souvenir Napoléonien n° 511, avril-juin 2017, p. 67. 
Les guerres de Vendée (1793-1832) ont intéressé de nombreux historiens. Parmi les conflits les plus sanglants, elles touchèrent presque tout l'ouest de la France. Les auteurs ont pour ambition de proposer une nouvelle présentation, sans grille de lecture manichéenne. Deux historiographies se sont longtemps opposées : d'un côté royaliste, favorable aux Vendéens et les victimisant ; de l'autre une analyse républicaine minimisant les souffrances des Vendéens. Indéniablement, les deux camps firent preuve d'atrocités. 

Jean-Joël Brégeon et Gérard Guicheteau, Nouvelle histoire des guerres de Vendée, Paris, Perrin, 2017, 421 p., 23.90 euros.