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mardi 7 janvier 2014

Éric Anceau et Napoléon III

Éric Anceau, né en 1966, est un historien spécialiste du Second Empire. Il devint agrégé d'histoire en 1991 et en 1993, il reçut une bourse de la Fondation Napoléon pour sa thèse consacrée aux députés du Second Empire sous la direction de Jean Tulard qu'il présenta en 1997 et pour laquelle il obtint la mention très honorable avec les félicitations à l'unanimité du jury présidé par le regretté Jean-Marie Mayeur. Il remporta le prix Second Empire de la Fondation Napoléon en 2000 pour son Dictionnaire des députés du Second Empire et pour son étude sur Les députés du Second Empire : prosopographie d'une élite du XIXe siècle. Après avoir enseigné quelques années dans le secondaire, il est depuis 1999 maître de conférences à l'Université de Paris-IV-Sorbonne et à l'Institut d'études politiques de Paris.
En 2008, il publia chez Tallandier une biographie de Napoléon III qui est à mes yeux la meilleure des biographies que l'on a consacré à ce grand personnage. Cette biographie fut rééditée en 2012 dans la collection "Texto" de Tallandier.

Afin de donner au lecteur de ces lignes l'envie de lire le Napoléon III d'Éric Anceau, voici un extrait du prologue :

« Pourquoi une nouvelle biographie de Napoléon III ?

« Alors que s'annonçait le bicentenaire de la naissance de l'empereur (avril 2008), que se multipliaient les prises de parole et les publications sur le dernier souverain français, nous avons estimé qu'une familiarité de plus de vingt ans avec celui-ci nous autorisait à participer à ce débat. Conscient de la dette que nous avions envers tous ceux qui, avant nous, avaient écrit sur Napoléon III - et en particulier Louis Girard avec lequel nous avions souvent évoqué l'empereur -, nous pensions malgré tout pouvoir apporter un nouvel éclairage sur sa vie et sur son œuvre.
« Le portrait d'une personnalité importante comme l'empereur des Français peut servir de prétexte pour brosser le tableau d'une époque. Le procédé est louable. Il est très en vogue et a indéniablement contribué au renouveau du genre biographique. Mais tel n'a pas été notre démarche. Nous avons conçu cette biographie de Napoléon III en la centrant délibérément sur l'homme. Cependant, nous n'avons pas non plus voulu faire de cet homme un être intemporel et isolé, car nous sommes convaincu que chacun ne se comprend bien que replacé en son temps, en son milieu, parmi les siens.
 « Napoléon III ne fut ni un solitaire, ni un isolé. Son ascension, l'exercice de son pouvoir et sa chute ne peuvent se comprendre qu'à la lumière des relations qu'il a entretenues avec les uns et les autres. Celles-ci occupent donc une grande place dans cette biographie. Nous nous sommes aussi rapidement rendu compte que non seulement tout n'avait pas été dit sur l'homme et le souverain, mais que l'un et l'autre demeuraient encore partiellement incompris. Il est vrai que comme le remarquait Adrien Dansette : " Peu d'hommes d'État [...] sont plus difficiles à comprendre ". Napoléon III dément ainsi la fameuse assertion que Sartre plaçait en ouverture de  L'Idiot de la  famille : " On entre dans un mort comme dans un moulin."
« Il est également vrai, ainsi que nous l'avons déjà souligné, que certains ont voulu faire œuvre partisane, d'encensement ou de dénigrement. Pour notre part, nous sommes entré dans cette vie de souverain, sans cause à défendre ou à combattre. Que l'on ne s'attende donc pas à lire, dans les pages qui suivent, une hagiographie ou un portrait charge. Il nous est également vite apparu que les mêmes erreurs se reproduisaient souvent d'une biographie de Napoléon III à l'autre, faute d'un travail sur les sources, dont certaines, parmi les plus importantes, n'avaient, il est vrai, pas toujours été accessibles.
« Nous   nous   sommes   donc   immergé   dans   ces   documents.   Au   premier   chef,   il   était inconcevable de ne pas relire l'ensemble des livres, des brochures, des prises de parole du prince, de ne pas se plonger dans les milliers de lettres rédigées, dictées ou reçues par lui. L'enjeu était majeur. Rares sont en effet les hommes qui se sont autant livrés dans leurs papiers que l'empereur des Français.
« Les   archives   Napoléon   et   les   œuvres   publiées   de   Napoléon   III   constituent   donc naturellement les deux premiers piliers du présent livre. Il importait ensuite de savoir ce qu'avaient écrit et pensé de lui ses proches, ses collaborateurs et ses ennemis, comment ils avaient vécu et travaillé avec ou contre lui. Nous avons consulté dans ce but plusieurs dizaines de fonds d'archives privées et plusieurs centaines de correspondances et des Mémoires contemporains, dont ceux de tous les principaux protagonistes du règne.
« Nous nous appuyons donc sur les témoignages des membres de la famille impériale (la reine Hortense, l'impératrice Eugénie, le prince Napoléon, la princesse Mathilde, Stéphanie Tascher de   La   Pagerie),   des   ministres   et   hauts   fonctionnaires   (Baroche,   Haussmann,   Ollivier,   Persigny, Rouher), des dirigeants étrangers (la reine Victoria, Palmerston, Malmesbury, Bismarck, Cavour), des diplomates en poste à Paris (Apponyi, Beyens, Cowley, Hübner, Metternich), des opposants politiques   (Louis   Blanc,   Falloux,   Guizot,   Hugo,   Georges   Sand),   des   hommes   de   lettres   et   des jorunalistes (Du Camp, les Goncourt, Halévy, Karl Marx, William­Nassau Senior) et des intimes
(Hortense Cornu, le docteur Evans, Filon, le marquis de Massa, Valérie Masuyer), etc.
« Il convient de faire une place à part aux Mémoires inédits de Napoléon III. Le Mémorial  de   Chislehurst  du   pseudo­baron   d'Ambès.   Jusqu'à   aujourd'hui,   cette   œuvre   qui   apportait   des informations inédites sur l'empereur était considérée par beaucoup comme apocryphe. De ce fait, elle était soit rejetée, soit, au contraire, pillée en n'étant pas citée et en étant mal comprise. Dans un premier temps, nous sommes parvenu  à démontrer que les présomptions qui faisaient du baron d'Ambès tantôt Georges Charles d'Anthès, baron Heeckeren, tantôt le baron Henri Lambert, deux intimes de Napoléon III, n'étaient pas fondées. Dans un second, nous avons identifié formellement le baron en la personne d'Alfred d'Almbert. De ce fait, non les  Mémoires inédits de Napoléon III deviennent recevables, moyennant quelques restrictions qui s'attachent à tout récit de ce type, mais leur auteur apparaît sous un jour nouveau, celui d'un ami du prince qui fut presque aussi influent et présent que Persigny. 
« Par ailleurs, les archives judiciaires et celles de la Cour des pairs nous ont livré une partie des secrets des tentatives de coups d'État de Strasbourg et de Boulogne. Celles de l'armée nous ont fait entrer plus intimement dans la vie du prisonnier de Ham. Les papiers retrouvés aux Tuileries après   le   4   septembre   1870   nous   ont   fait   découvrir   l'autre   face   du   pouvoir.   Les   résultats   des consultations électorales, la presse, les rapports administratifs et d'humbles témoignages puisés à diverses sources nous ont permis de nous faire une idée plus précise de la façon dont les Français se représentaient leur souverain. Il ne fallait pas en négliger pour autant la très abondante production historique   sur   le   XIXe   siècle,   car   certains   travaux   majeurs   apportent   un   nouvel   éclairage   sur l'empereur et sur son temps. Nous nous sommes donc appuyé sur eux et nous les mentionnons dans la bibliographie, la plus complète à ce jour sur Napoléon III.
« Nous avons repris au pied de la lettre une formule su souverain qui se piquait lui­-même d'être historien : " Quand on parle d'une époque obscure du passé, on ne saurait prétendre être cru sur parole, il ne suffit même pas d'indiquer la source où l'on a puisé ses renseignements, il faut, pour les choses importantes, donner le texte même, car souvent le lecteur peut interpréter d'une manière différente le passage sur lequel vous fondez votre raisonnement."
« C'est pourquoi nous avons souhaité donner le plus souvent possible la parole aux témoins et à Napoléon III lui­même dans d'importantes annexes, mais aussi dans le corps de la biographie. 
« Celle-­ci comprend quatre époques qui correspondent à l'ascension du prince jusqu'à la présidence de la République ; à la transformation de son pouvoir présidentiel limité en un immense pouvoir impérial ; à l'exercice de ce même pouvoir ; enfin, à sa restriction, puis à sa disparition. »