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dimanche 22 juin 2014

Une très bonne histoire de la guerre de Crimée par Alain Gouttman

Alain Gouttman, décédé au début de l'année, était un historien français spécialisé dans l'étude des guerres du Second Empire. Il a publié en 1995 La guerre de Crimée 1853-1856. La première guerre moderne chez SPM, ouvrage réédité en 2003 dans la collection Tempus chez Perrin. En 2008, il a fait paraître chez le même éditeur La guerre du Mexique 1862-1867. Le mirage américain de Napoléon III (réédité en Tempus en 2011). Pour son ouvrage sur la guerre de Crimée, il a reçu en 1995 le Grand Prix de la Fondation Napoléon. Il est dommage qu'il n'ait pas eu le temps d'écrire des ouvrages sur d'autres conflits de la seconde période napoléonienne.
Dans son ouvrage sur la guerre de Crimée, l'objectif d'Alain Gouttman est de faire un livre bien documenté sur les causes et le déroulement de ce conflit qui a malheureusement suscité peu d'ouvrages alors qu'il s'agit de la première guerre moderne où le navire cuirassé et l'obus explosif apparaissent. Il a su montrer que la France entra d'elle-même dans ce conflit et non sous l'impulsion de la Grande-Bretagne, comme le suggéraient les précédents historiens de la guerre d'Orient (autre nom de la guerre de Crimée). Grâce à cette intervention en Crimée, pour défendre les Lieux saints et endiguer l'expansionnisme russe, la France entra avec les honneurs dans le concert européen puisqu'après avoir vaincu l'armée du tsar Alexandre II, qui avait succédé à son père Nicolas Ier en 1855, elle accueillit le congrès de paix qui se déroula à Paris au printemps 1856. Elle exerça même une prépondérance sur l'Europe jusqu'en 1863. Avec son ouvrage, Gouttman participe à la réhabilitation du Second Empire en rappelant les victoires que furent les batailles de l'Alma et d'Inkerman et le siège de Sébastopol. En effet, l'historiographie était jusqu'à récemment très défavorable au second régime napoléonien en insistant sur la capitulation de Sedan et sur le coup d'État du 2 décembre 1851 et minimisant la modernité du règne de Napoléon III et la gloire de l'armée du Second Empire. Nonobstant quelques difficultés d'ententes entre le commandement anglais et le commandement français, par exemple les quelques problèmes de coordination entre la flotte franco-britannique et les armées sur terre, Français et Anglais surent faire preuve d'un courage énorme et furent sur le champs de bataille de vaillants frères d'armes.
Dans son prologue, Gouttman rappelle en quelques pages les relations franco-russes sous le Premier Empire puis dans la première moitié du XIXe siècle. Ensuite, il explique, avec « les dernières chances de la diplomatie », en quoi consiste la querelle des Lieux saints et décrit les tentatives infructueuses de la diplomatie d'enrayer la crise entre la France, la Grande-Bretagne et l'Empire ottoman d'une part et la Russie d'autre part. « Face à face en Orient » est un chapitre qui nous amène à voir la préparation militaire de chaque camp puis l'échec du front danubien pour les troupes russes. Dans « offensive en Crimée », le terrain des opérations est déplacé vers la Crimée puisque les alliés se décidèrent à l'attaquer parce qu'elle abritait le port de Sébastopol, le centre névralgique de la puissance russe dans le sud de l'Europe. Ce chapitre termine avec la mort émouvante du vaillant maréchal de Saint-Arnaud, alors commandant en chef des troupes françaises en Crimée. Avec « la prise de Sébastopol », on voit les Anglais et les Français combattre les Russes lors des batailles de Balaklava (25 octobre 1854), sans vainqueur, et d'Inkerman (5 novembre 1854), victorieuse pour les troupes franco-britanniques. C'est aussi dans ce chapitre qu'est donné l'assaut final permettant aux Français et aux Anglais de s'emparer enfin de Sébastopol. Le dernier chapitre, « vers un nouvel ordre international ? », nous invite à l'analyse des négociations diplomatiques mettant fin à cette guerre de Crimée. L'ouvrage comporte des annexes dans lesquelles on trouve trois documents relatifs aux Lieux saints : un firman de 1757 répartissant les Lieux saints entre les différentes confessions, un extrait du traité de Kutchuk-Kaïnardji conclu en 1774 entre les Russes et les Ottomans pour mettre à la guerre qui les opposait depuis 1768 et les trois modifications à la note de Vienne demandées par les Ottomans (20 août 1853). Il y a une chronologie regroupant les principaux événements de la guerre de Crimée. La bibliographie est composée des sources imprimées et des études historiques utilisées par l'auteur. Parmi les sources imprimées, on a la Défense de Sébastopol par le général russe Todleben, qui montre que Gouttman ne s'enferme pas dans le point de vue franco-français ou franco-britannique, la correspondance d'Édouard Thouvenel, d'abord directeur des affaires politiques au ministère des Affaires étrangères puis à partir de 1855 ambassadeur de France à Constantinople, et les Souvenirs de la Guerre de Crimée du général Fay. Dans les études historiques, on trouve Croisades en Crimée de Jean-Pierre Chapuis, Sébastopol de Maurice Garçot et La Guerre de Crimée de René Guillemin. On peut regretter que Gouttman ne mentionne pas les fonds d'archives qu'il a consultées pour la rédaction de ce superbe ouvrage.
Ce livre, qui est écrit dans un style plaisant, est complet. Il y a un équilibre entre les analyses diplomatiques, militaires et politiques, aucune n'est survolée au profit d'une autre, ce qui n'est pas une chose facile lorsqu'on effectue une étude historique de cette qualité. Dans cet ouvrage, on voit que l'armée française compte de braves soldats mais on perçoit déjà les fragilités du commandement et de l'intendance de l'armée impériale.


GOUTTMAN Alain, La guerre de Crimée 1853-1856. La première guerre moderne, Paris, Perrin, coll. « Tempus », 2003 [1995], 438 p.