Alain
Gouttman, décédé au début de l'année, était un historien
français spécialisé dans l'étude des guerres du Second Empire. Il a publié en 1995 La guerre de Crimée 1853-1856. La première guerre moderne chez SPM, ouvrage réédité en 2003 dans la collection Tempus chez Perrin. En 2008, il a fait paraître chez le même éditeur La guerre du Mexique 1862-1867. Le mirage américain
de Napoléon III (réédité en Tempus en 2011). Pour son ouvrage sur la guerre de Crimée, il a reçu en 1995 le Grand Prix de la Fondation Napoléon. Il est dommage qu'il n'ait pas eu le temps d'écrire des ouvrages sur d'autres conflits de la seconde période napoléonienne.
Dans son ouvrage sur la guerre de Crimée, l'objectif d'Alain Gouttman
est de faire un livre bien documenté sur les causes et le
déroulement de ce conflit qui a
malheureusement suscité peu d'ouvrages alors qu'il s'agit de la
première guerre moderne où le navire cuirassé et l'obus explosif
apparaissent. Il a su montrer que la France entra d'elle-même dans
ce conflit et non sous l'impulsion de la Grande-Bretagne, comme le
suggéraient les précédents historiens de la guerre d'Orient (autre
nom de la guerre de Crimée). Grâce à cette intervention en Crimée,
pour défendre les Lieux saints et endiguer l'expansionnisme russe,
la France entra avec les honneurs dans le concert européen
puisqu'après avoir vaincu l'armée du tsar Alexandre II, qui avait succédé à son père Nicolas Ier en 1855, elle
accueillit le congrès de paix qui se déroula à Paris au printemps
1856. Elle exerça même une prépondérance sur l'Europe jusqu'en
1863. Avec son ouvrage, Gouttman participe à la réhabilitation du
Second Empire en rappelant les victoires que furent les batailles de
l'Alma et d'Inkerman et le siège de Sébastopol. En effet,
l'historiographie était jusqu'à récemment très défavorable au
second régime napoléonien en insistant sur la capitulation de Sedan
et sur le coup d'État du 2 décembre 1851 et minimisant la modernité
du règne de Napoléon III et la gloire de l'armée du Second
Empire. Nonobstant quelques difficultés d'ententes entre le
commandement anglais et le commandement français, par exemple les
quelques problèmes de coordination entre la flotte
franco-britannique et les armées sur terre, Français et Anglais
surent faire preuve d'un courage énorme et furent sur le champs de
bataille de vaillants frères d'armes.
Dans
son prologue, Gouttman rappelle en quelques pages les relations
franco-russes sous le Premier Empire puis dans la première moitié
du XIXe
siècle. Ensuite, il explique, avec « les dernières chances de
la diplomatie », en quoi consiste la querelle des Lieux saints
et décrit les tentatives infructueuses de la diplomatie d'enrayer la
crise entre la France, la Grande-Bretagne et l'Empire ottoman d'une
part et la Russie d'autre part. « Face à face en Orient »
est un chapitre qui nous amène à voir la préparation militaire de
chaque camp puis l'échec du front danubien pour les troupes russes.
Dans « offensive en Crimée », le terrain des opérations
est déplacé vers la Crimée puisque les alliés se décidèrent à
l'attaquer parce qu'elle abritait le port de Sébastopol, le centre
névralgique de la puissance russe dans le sud de l'Europe. Ce
chapitre termine avec la mort émouvante du vaillant maréchal de
Saint-Arnaud, alors commandant en chef des troupes françaises en
Crimée. Avec « la prise de Sébastopol », on voit les
Anglais et les Français combattre les Russes lors des batailles de
Balaklava (25 octobre 1854), sans vainqueur, et d'Inkerman (5
novembre 1854), victorieuse pour les troupes franco-britanniques.
C'est aussi dans ce chapitre qu'est donné l'assaut final permettant
aux Français et aux Anglais de s'emparer enfin de Sébastopol. Le
dernier chapitre, « vers un nouvel ordre international ? »,
nous invite à l'analyse des négociations diplomatiques mettant fin
à cette guerre de Crimée. L'ouvrage comporte des annexes dans lesquelles on trouve trois documents relatifs aux Lieux saints : un firman de 1757 répartissant les
Lieux saints entre les différentes confessions, un extrait du traité
de Kutchuk-Kaïnardji conclu en 1774 entre les Russes et les Ottomans
pour mettre à la guerre qui les opposait depuis 1768 et les trois
modifications à la note de Vienne demandées par les Ottomans (20
août 1853). Il y a une chronologie regroupant les principaux
événements de la guerre de Crimée. La bibliographie est composée
des sources imprimées et des études historiques utilisées par
l'auteur. Parmi les sources imprimées, on a la Défense de
Sébastopol par le général
russe Todleben, qui montre que Gouttman ne s'enferme pas dans le
point de vue franco-français ou franco-britannique, la
correspondance d'Édouard
Thouvenel, d'abord directeur des affaires politiques au ministère
des Affaires étrangères puis à partir de 1855 ambassadeur de
France à Constantinople, et les Souvenirs de la Guerre de
Crimée du général Fay. Dans
les études historiques, on trouve Croisades en Crimée
de Jean-Pierre Chapuis, Sébastopol
de Maurice Garçot et La Guerre de Crimée
de René Guillemin. On peut regretter que Gouttman ne mentionne pas
les fonds d'archives qu'il a consultées pour la rédaction de ce
superbe ouvrage.
Ce livre, qui est écrit dans un style
plaisant, est complet. Il y a un équilibre entre les analyses
diplomatiques, militaires et politiques, aucune n'est survolée au
profit d'une autre, ce qui n'est pas une chose facile lorsqu'on
effectue une étude historique de cette qualité. Dans cet ouvrage,
on voit que l'armée française compte de braves soldats mais on
perçoit déjà les fragilités du commandement et de l'intendance de
l'armée impériale.
GOUTTMAN
Alain, La guerre de Crimée 1853-1856. La première guerre
moderne, Paris, Perrin, coll.
« Tempus », 2003 [1995], 438 p.