Ce
mercredi 29 avril 2015, à l'invitation de la délégation Île
de France du Souvenir napoléonien, Yves Bruley* fit une
conférence à la mairie du 8e arrondissement de Paris pour présenter
son dernier ouvrage, La diplomatie du sphinx.
Napoléon III et sa politique internationale, qui
sortira le 13 mai prochain. L'assistance aurait pu se procurer le
livre en avant-première mais des dysfonctionnements éditoriaux ne
l'ont pas permis. Toutefois, Yves Bruley a présenté comme prévu
son nouvel ouvrage. Ce sont les romantiques, à l'exemple de Balzac
et de Baudelaire, qui utilisèrent la figure mystérieuse du sphinx
dans leurs œuvres. Cette expression de sphinx fut utilisée pour
caractériser l'empereur Napoléon III, qui pour beaucoup était, est
et sera un être mystérieux. Pourquoi associa-t-on Napoléon III à
un sphinx ? Après la guerre de Crimée (1853-1856), le général
Pélissier ramena de la prise de Sébastopol deux statues de sphinx
qui furent installées aux Tuileries. Par la suite, des ministres de
l'empereur qualifièrent leur souverain de "sphinx des
Tuileries" et l'expression fut reprise par la presse anglaise.
Pour de nombreuses personnes, Napoléon III aurait été un
conspirateur et la politique extérieure aurait été son domaine
réservé pour lequel il aurait écarté systématiquement ses
ministres des Affaires étrangères. Pour remettre en partie en cause
cette idée, ce qu'il avait déjà fait dans sa thèse de doctorat,
Yves Bruley s'appuie sur les archives du ministère des Affaires
étrangères et notamment sur les précieux souvenirs d'Hippolyte Desprez
qui ne peuvent être publiés, faute de moyens alors qu'il s'agit
d'une source d'un immense intérêt pour la connaissance de la
période. Il rappelle que l'entourage de Napoléon III était
réduit à quatre hommes : le chef de cabinet de l'Empereur
Jean-François Mocquard jusqu'à sa mort en 1864 où il fut remplacé
par Charles Étienne Conti, le secrétaire particulier de
l'Empereur Franceschini Pietri, le Grand écuyer le général
Fleury et Henri Conneau, le médecin personnel et ami du monarque. On
peut affirmer que Napoléon III avait des proches mais pas une
multitude de conseillers spécialisés comme les chefs d'État en
possèdent de nos jours. N'ayant pas de premier ministre et étant
de facto le
chef du gouvernement, Napoléon III était en lien direct avec
ses ministres lors du conseil des ministres ou lors d'entretiens
privés. De nombreux témoins affirment que l'empereur écoutait les
conseils avec bienveillance sans faire d'objection. Au début du
Second Empire, Napoléon III mena une diplomatie secrète lors des
négociations en vue d'une cérémonie de sacre présidée par le
pape Pie IX. Les négociations échouèrent et l'empereur ne fut pas
sacré comme le fut son oncle. L'empereur ne fit pas de diplomatie
parallèle lors de la guerre de Crimée et il témoignait une entière
confiance en son ministre Édouard Drouyn de Lhuys. Ce ne fut qu'au
moment de l'éclatement des affaires italiennes que l'empereur
réitéra avec la diplomatie secrète en rencontrant sans en informer
le Quai d'Orsay le premier ministre piémont-sarde Cavour à
Plombières en 1858. Durant la suite des affaires italiennes, il mena
une diplomatie parallèle qui était contraire à celle appliquée
par le Quai d'Orsay, ce qui entraîna le départ du comte Walewski
du ministère pour être remplacé par Édouard Thouvenel. Jusqu'ici,
plusieurs événements passaient pour avoir été pilotés des
Tuileries sans avoir collaboré avec le Quai d'Orsay. Or, pour le
traité de libre-échange de 1860, l'annexion de Nice et de la Savoie
et l'intervention au Liban, il s'avère que les services du ministère
des Affaires étrangères prirent part aux négociations. Lorsque
Rouher devint ministre d'État et quasiment le deuxième homme de
l'édifice impérial, il tenta de peser sur la diplomatie. En 1866,
suite à sa défaite de Sadowa face à la Prusse, l'Autriche
réclamait une médiation française. La France avait deux options
devant elle : soit elle prenait le chemin de la fermeté avec une
médiation armée avec des troupes placées sur le Rhin soit elle
mettait en place une médiation amicale envers la Prusse. Lors d'un
conseil des ministres, réuni à Saint-Cloud, les ministres, à
l'instigation de Drouyn de Lhuys, optèrent pour une médiation armée
et le lendemain devait paraître un décret de convocation du Corps
législatif pour décréter la mobilisation de 80 000 hommes sur
le Rhin. Mais à la suite du conseil, le ministre de l'Intérieur La
Valette, qui n'appréciait pas Drouyn de Lhuys, s'entretint avec
Rouher pour lui signifier qu'une médiation armée était une
mauvaise solution et qu'il fallait faire une alliance avec la Prusse.
Les deux hommes allèrent voir l'empereur pour le convaincre qu'il
fallait s'allier avec la Prusse au lieu de lui être hostile. Étant
prussophile et peu favorable à l'Autriche, Napoléon III céda à
l'alliance prussienne sans prévenir Drouyn de Lhuys du changement de
politique. De 1866 à 1869, Eugène Rouher exerçait une tutelle sur
la diplomatie française. Grâce aux souvenirs d'Hippolyte Desprez,
nous possédons un nouveau regard sur la crise de 1870 puisque
dorénavant nous savons que les parlementaires avaient accéléré la
crise sans que le Quai d'Orsay ne pût intervenir et qu'il fût ainsi
coupé de la décision politique. En conclusion, Yves Bruley indique
que la diplomatie de Napoléon III n'est pas un bloc. Pour comprendre
la politique impériale, il est intéressant de se reporter à
l'Histoire de Jules César que
Napoléon III a rédigée puisqu'il justifie sa politique à l'aide
de l'histoire antique. En effet, César était seul lorsqu'il prit la
décision de traverser le Rubicon. Napoléon III ne se laissa
jamais imposer son choix. Mais la difficulté du césarisme réside
dans l'usure du pouvoir puisqu'il fonctionne bien lorsque le chef
d'État est en forme alors que le mécanisme se crispe à partir du
moment où le dirigeant défaille (maladie de Napoléon III). La
crise de 1870 fut accentuée par deux éléments : le manque de
préparation face à la vie parlementaire qui ne laisse pas de temps
à l'action réflechie et l'accélération de la prise de décision à
cause du télégraphe. On peut affirmer que la diplomatie classique
mourut en 1870.
Lors
du débat avec la salle, Yves Bruley rappela que les ministres et les
ambassadeurs étaient des diplomates de carrière. Napoléon Daru fut
le seul ministre des Affaires étrangères du Second Empire à être
issu de la vie parlementaire. Bruley estime que le Second Empire
représente un âge d'or de la carrière diplomatique puisque les
postes d'ambassadeurs sont confiés très majoritairement à des
professionnels et non à des politiques en reconversion. Il pense que
Drouyn de Lhuys et Thouvenel furent de très bons ministres mais il
affirme que Moustier ne fut pas un très grand ministre puisqu'il fut
nommé uniquement parce qu'il avait été ministre plénipotiaire à Berlin
durant les années 1850 et parce qu'il était apprécié de Rouher.
L'impératrice Eugénie ne joua pas un rôle décisif dans la
politique impériale.
Présentation
de l'ouvrage par l'éditeur :
"« Le
Sphinx des Tuileries », Napoléon III était une énigme
vivante : regard impénétrable, attitude hermétique, politique
secrète. « Les paroles qu’on lui adresse sont comme des
pierres qu’on jette dans un puits ; on en entend le bruit mais
on ne sait jamais ce qu’elles deviennent », disait
Tocqueville, qui fut son ministre des Affaires étrangères. La
diplomatie surtout trahit le passé de conspirateur de
Louis-Napoléon, et recèle encore bien des mystères. Ce livre,
conçu à partir des archives du Quai d’Orsay, renouvelle en
profondeur l’histoire de la diplomatie impériale. Il s’appuie
notamment sur les mémoires inédits d’un des principaux diplomates
français. Son récit de la crise internationale de juillet 1870,
vécue au Quai d’Orsay, est publié ici pour la première fois.
Vainqueur du duel qui entraîna « le Sphinx » dans une
chute fatale, Bismarck avait-il, mieux que personne, déchiffré
l’énigme de Napoléon III ?"

*Yves
Bruley, né en 1969, est agrégé d'histoire et docteur en histoire
des relations internationales. Chargé de mission à l'Académie des
Sciences morales et politiques, il est aussi maître de conférences
à l'Institut dÉtudes politiques de Paris. Il s'est spécialisé
dans l'histoire des relations internationales au XIXe siècle et dans
celle de la papauté. Sa thèse de doctorat, préparée sous la
direction de Georges-Henri Soutou et soutenue en 2009, s'intitule Le
Quai d'Orsay sous le Second Empire pour
laquelle il reçut le Prix Mérimée 2011. Elle fut publiée dans un
format grand public sous le titre Le Quai d'Orsay
impérial chez Pédone en
2012. Pour cet ouvrage, la Fondation Napoléon lui décerna le Prix
Second Empire en 2012. On lui doit aussi une Histoire
de la papauté publiée en
2011 dans la collection "Tempus" de Perrin. Il a dirigé
avec Thierry Lentz, directeur de la Fondation Napoléon et grand
historien du Consulat et du Premier Empire, Diplomaties
au temps de Napoléon publié
en 2014 chez CNRS Éditions.